Afriques : une histoire, cent paroles
Depuis que je suis au Sénégal, je me rends compte combien j'ai pu et je suis encore ignare sur les questions relatives à l'histoire africaine. Nous parlons de l'Afrique, sans tenir compte des disparités qui règnent entre un congolais, un éthiopien ou un guinéen. C'est comme si on mettait dans le même panier un français, un finlandais et un sicilien. Cela n'a rien à voir et pourtant nous cohabitons bon gré mal gré dans une jeune Europe. Le peu que nous savons est souvent lié au fameux terme françafrique mais l'Afrique est bel et bien indépendante et a existé bien avant notre arrivée et notre présence coloniale. Nous ne connaissons rien de ce continent dont nous avons beaucoup à apprendre pourtant. Alors pour remédier à ce fait, je vous conseille de regarder la télévision ; une fois n'est pas coutume, et en particulier, le très bon documentaire : Afrique(s) ... dont voici une présentation et pour ceux qui préfèrent la lecture un lien utile.
Afrique(s), une autre histoire du XXe siècle. Série réalisée par Alain Ferrari et Jean-Baptiste Péretié.
« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur », dit un proverbe africain, placé en exergue d’Afrique(s), une autre histoire du XXe siècle.
Un proverbe auquel répond, à sa manière, cette titanesque série
documentaire en quatre épisodes d’une heure trente qui montre une
histoire de l’Afrique racontée par des Africains, mais aussi une
histoire du point de vue de l’Afrique, et pas comme caisse de résonance
de l’Occident. Ce siècle qu’on nous
raconte commence en 1885, avec la conférence de Berlin et le partage du
continent africain. Le documentaire suit un découpage « chrono-thématique »,
explique Alain Ferrari, réalisateur de la série : de la colonisation
aux velléités indépendantistes, des insurrections aux indépendances, des
indépendances à l’installation chaotique de la démocratie. « L’intérêt,
c’est de raconter cette histoire sur le long terme, sinon on ne peut
pas comprendre comment l’Afrique se construit, ni pourquoi l’Afrique est
ce qu’elle est aujourd’hui », indique le réalisateur. A l’origine du projet, un coffret audio, Afrique, une histoire sonore, 1960-2000, réalisé par Philippe Sainteny et Elikia M’Bokolo, coauteurs d’Afrique(s). (...) Cette fresque ambitieuse rend compte de la densité, de
la richesse, et de la multiplicité de l’histoire africaine. De
dictatures en révoltes, de guerres civiles en luttes pour l’instauration
du multipartisme, on (re)découvre certaines grandes figures africaines,
comme le Ghanéen Rawlings, ou le Zambien Kaunda, le « Gandhi
africain ». Mais aussi la folie mégalo d’un Houphouët-Boigny et sa
basilique improbable, ou d’un Bokassa avec son couronnement napoléonien.
Afrique(s) a toujours le souci de rester grand
public, mais n’hésite pas à évoquer des événements assez méconnus, comme
les insurrections malgache et kenyane, en 1947, et leur violente
répression. La série est jalonnée d’images d’archives inédites,
fruit d’un impressionnant travail de recherche. Les premières archives
vidéo, tournées par des Occidentaux, ont dû être « nettoyées de leur idéologie, avec un gros travail de mise en perspective historique »,
explique Alain Ferrari. Les autres, celles tournées par les Africains
après les indépendances, sont souvent abîmées, car très mal conservées :
« Si l’on ne fait rien, c’est un patrimoine tout entier qui va disparaître », s’alarme-t-il. Belle idée que de
faire dialoguer passé et présent : Afrique(s) n’a
rien d’un documentaire historique un peu poussiéreux.
Mais le parti pris le plus remarquable est sans doute celui, radical, de
donner toute la place, et la parole, aux témoins et acteurs de cette
histoire africaine. La parole très incarnée de ceux qui ont, de près ou
de loin, pris part au réveil du continent : des grands intellectuels
(l’écrivain nigérian Wole Soyinka, le Somalien Nuruddin Farah, le
Sénégalais Boubacar Boris Diop, le poète éthiopien Kiflé Sélassié…) et
des personnalités politiques (Frederik De Klerk, Pedro Pires, Justin
Bomboko, Boutros Boutros-Ghali, Abdou Diouf…) Cette série permet de mettre en perspective une histoire
souvent morcelée. Elle ne donne ni dans l’afro-pessimisme ni dans
l’angélisme. « En six heures, on rend compte de ce qu’a été le combat des Africains pendant ce siècle, avance Elikia M’Bokolo. Leurs échecs, mais aussi leur capacité à redémarrer : ça donne une vision plus positive de l’avenir du continent. » Et alors, pourquoi ce pluriel hésitant, ce « s » entre parenthèses, dans le titre ? « Il y a à la fois une Afrique, et des Afriques, explique Philippe Sainteny. Si
les 53 pays sont très différents, si le Tchad n’a rien à voir avec
l’Afrique du Sud, qui n’a rien à voir avec le Cameroun ; en même temps,
c’est un continent qui a une unité, une identité spécifique. » Afrique(s) est en tout cas une série documentaire que l’on recommande fortement à certain président qui a affirmé, un jour, que « l’homme africain n’[était] pas assez entré dans l’histoire ». Paru dans Libération du 09/10/10
France 5, dimanche à 20 h 35 (1/4).